Bitume Mk5 - Confrérie du Serpent - Partie 3

Après quelques jours passés l’une avec l’autre, Any osa poser la question qui la taraudait depuis longtemps : « Hé toi ! Quel est ton prénom ? »

La femme la regarda, donnant l’impression de ne pas comprendre la question, puis lui répondit « Avant, j’étais Shina… » La voix était désincarnée, et Any n’osa pas poursuivre.

Shina avait repris peu à peu des forces, mais insuffisamment pour envisager de s’enfuir. De toute façon, s’échapper mais pour aller où ? Retourner dans son clan ? avec le tatouage qui ornait son bras, c’était impensable… Elle avait découvert le tatouage dans son entièreté à son réveil. Il couvrait intégralement son bras, et même si elle refusait obstinément de se l’avouer, il était magnifique. Les courbes du cobra épousaient à la perfection celles de son propre corps et dès qu’elle contractait un muscle, elle donnait vie au reptile. Elle était à la fois fascinée par la beauté et horrifiée par ce qu’elle avait subi. A moins de se couper le bras, il faisait partie intégrante de son corps. Plus d’une fois, elle se surprit à suivre d’un doigt le tracé sinueux des écailles. Le mariage entre la marque au fer rouge et ce tatouage était parfaite, la personne qui l’avait tatouée était vraiment en expert dans son art, et aussi un parfait sadique pour lui avoir fait endurer ça. 

L’arrivée d’une étrangère n’était pas passée inaperçu dans le village. Tout le monde savait que Marko était un chef de clan remarquable, et le fait de ramener une esclave n’avait surpris personne.

Any vaquait à ses occupations quotidiennes. Son statut de protégée de Marko lui permettait d’obtenir de la nourriture gratuitement, ce qui lui simplifiait bien la vie.

Ses préoccupations se limitaient donc à respecter sa charge de maîtresse de maison et de s’occuper de Shina, qui peu à peu se remettait sur pied.

Marko réapparu après quelques jours, sans un mot, comme à son habitude. Il paraissait simplement plus soucieux. Il se dirigea vers Shina, saisit son poignet et remonta sa manche. Elle n’opposa aucune résistance, et ne fit même pas attention à la chaleur de cette main sur son poignet. Il regarda simplement le tatoo, relâcha la main et repartit.

Marko avait passé quelques jours à chasser du gibier ainsi que ces étranges pensées qui venaient le tenailler lorsqu’il s’y attendait le moins. Il ne pouvait effacer de sa mémoire le regard de cette femme. Il aurait dû la tuer.

Son retour coïncida avec un banquet offert pour l’union de deux membres du clan. Etant le chef du village, il était de son devoir d’assister à la cérémonie, présidée par l’Oracle.

Les prédictions de cette vieille femme, aveugle, se révélaient très souvent justes. Réputée pour sa sagesse, elle était invitée à tous les évènements du clan.

Marko, se présenta, accompagné de Any et de son esclave. Cette dernière avait sa place, aux pieds de Marko, à genoux à même le sol. Elle aurait l’autorisation de manger ce que les invités voudraient bien lui lancer.

La cérémonie commença, les mariés furent présentés l’un après l’autre, sous les vivats et les applaudissements des convives et de leurs parents. Shina assistait à la scène sans vraiment y être. Son regard était fixé sur un coffre recouvert de grands éclats de miroir qui reflétait la lumière des torches dans de nombreuses directions.

A un instant, son attention fut attirée par un éclat de lumière provenant de l’extérieur. Sans trop savoir pourquoi, elle y prêta plus attention, et découvrit un homme, caché dans la végétation qui pointait une arbalète vers le groupe. La Lune venait de se refléter sur la pointe du carreau.

Au même moment, Marko se levait et prenait la parole pour son intervention, qui fut concise : « Tous mes vœux de bonheur. »

Mu par quel réflexe, Shina ne put le dire, elle se leva et fit face à Marko.

La suite fût confuse, et Marko, sur l’instant ne put tout comprendre. Il sentit un corps se serrer contre sa poitrine. En baissant les yeux, il la vit, ELLE, cette esclave, contre lui…

Comment osait-elle le toucher ? et en plus en public, devant tout le clan.

Puis il découvrit une hampe ornée de plumes dépasser dans le dos de la femme, et ressentit enfin une douleur au niveau de son thorax.

Il l’entendit murmurer, dans un souffle : « On est quitte… »

Au même instant, il la saisit par les épaules pour l’écarter violemment de lui.

« Comment oses-tu… » et il ne termina jamais cette phrase. La pointe métallique du carreau dépassait de la poitrine de la femme, une tâche de sang commençait à apparaitre sur sa tunique.

De surprise, il relâcha sa prise et la femme s’affala à ses pieds. Ses yeux la quittèrent pour se poser sur son propre torse, là aussi du sang coulait… il toucha son corps et découvrit que le carreau l’avait également légèrement blessé.

Le vacarme de la fête s’était interrompu, tous regardaient dans sa direction, essayant de comprendre ce qui se passait.

Dans l’esprit de Marko, les pièces du puzzle avaient du mal à s’emboiter. Il comprenait juste qu’on avait tiré avec une arbalète dans sa direction et qu’ELLE avait été touchée. Quelqu’un avait essayé de le tuer fut sa conclusion.

Il aboya un ordre, bref comme à son habitude : « Soignez-la ! » et sortit précipitamment de la hutte. Il courait, les sens aux aguets, tout en pensant au chemin le plus probable emprunté par ce mystérieux agresseur. Il connaissait parfaitement les moindres recoins de cette zone et sa logique le mit rapidement sur la bonne piste.